Les Vases de Yutz n’ont pas de pot

 

 

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Pardon pour ce titre un peu facile et ce conte de Noël en retard mais c’est à cause du décalage horaire. Tout commence en novembre 2017 avec deux Anglaises en extase devant une vitrine du British Museum. Elles se tracassent au sujet de leurs "Basse-Yutz flagons". Elles craignent de voir les quatre merveilles retraverser la Manche et rentrer en France à la maison.

Il y a quatre-vingt-dix ans, ces "Vases de Yutz" étaient à Yutz. Du bout de la pioche et très prudemment, des terrassiers les avait déterrés un soir de fin novembre 1927, sur un chantier des chemins de fer. La petite ville lorraine n’était pas peu fière d’accoler son nom au plus beau trésor national jamais trouvé sous les taupinières. On a certes la ligne Maginot depuis mais ce n’est pas pareil.

Personne n’ayant osé, à l’époque, estimer l’âge des objets, cette prudence des spécialistes donna forcément des idées aux amateurs les plus culottés. Trois jours plus tard, les vases avaient disparu, mais pas pour tout le monde. Deux ouvriers bouzonvillois, Jules et Jean Venner, avaient mis la main dessus pour les rapporter chez eux. Sans même faire un clin d’œil aux collègues de Yutz qui n’étaient pas dupes, ils prétendirent mordicus les avoir trouvés au sous-sol de leur pavillon familial en trébuchant par hasard sur ce qu’ils pensaient être de vieux ustensiles de cuisine. Le mensonge, c’est le cas de le dire, était gros comme une maison.

Nos deux emprunteurs ne pensaient qu’à monnayer leur trouvaille dont ils attendaient beaucoup d’argent. Avec la naïveté qu’ont les âmes simples quand elles se mettent à comploter, ils ignoraient qu’ils ne feraient pas le poids dès qu’ils tremperaient le pied dans le chaudron roublard des affaires. C’est en vain que, pendant deux mois, ils proposèrent aux amateurs de Moselle-ouest de leur vendre ce qu’ils nommaient à tort les "Vases de Bouzonville" mais dès qu’ils franchirent le deuxième cercle, celui des initiés à l’affût, ils finirent petitement par les solder à un baron. La surenchère continua sans eux, menée cette fois par des vautours en col blanc. Le chiffre des Venner se mit alors à cuber, chaque vendeur calculant son bénef au curseur de sa vanité. La police pensa plus tard que cette ascension vers le jackpot londonien avait été menée en Lorraine par une cordée de Pieds Nickelés.

Les Venner n’avaient fait qu’un tour de piste, mais le sang des Yussois avait bouilli… Eux qu’un surnom (Muertentrippler) nommait les piétineurs de carottes, ne pouvaient admettre cette entourloupe de terrassiers. Ils s’étaient souvenus qu’à l’école, on disait des Bouzonvillois : Die han so lange finger… Ils ont les doigts crochus quand ils vont au marché.

Bien des années plus tard, donc aujourd'hui, Patrick Weiten, l’homme fort du département, s'est souvenu de cet exemple parfait d’humiliation mosellane qu'il gardait dans un recoin de sa mémoire d’écolier… L’honorable "piétineur de carottes" avait depuis longtemps pardonné aux "doigts crochus", mais c’est aux Anglais qu’il en avait. Dans son esprit, les vases appartenaient aux "Riches heures" du pays thionvillois, ce qui n’était pas faux. Comme tout élu, il se sentait dépositaire de ce patrimoine virtuel. Il rêvait d’organiser leur retour au bord de la tranchée où on les avait trouvés… Pour rendre aux Mosellans, si l'on peut s'exprimer ainsi,  leurs quatre bronzes en chair et en os.

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Le coup était devenu jouable en 2017, au nom de l’éthique européenne. Chacun sait que nos voisins font profil-bas depuis le Brexit, eux qui depuis des années à Bruxelles, regardaient le plafond dès qu’on leur parlait de sous. Quant à l’amère Theresa, elle attend visiblement le mois de May en trottinant à côté de son ombre. Mais il y restait un détail : Le trésor de Yutz au British Museum n’avait rien de malhonnête. Ces bougres d’Anglais l’avaient bel et bien payé, ce qui veut dire qu’ils ne l’avaient pas volé.

D’où l’idée du Président Weiten de commander un film pour préparer la négociation. On s’émerveillerait sur la conservation des bronzes, on s’esbaudirait sur leur Celtitude, on encouragerait la publicité autour de leur retour, on laisserait entendre que ce projet n’était pas si vaseux qu’il en avait l’air. Dès qu’arriveraient au British Museum les échos de cet Exocet culturel, les Anglais, qui sont gens sensibles, ne pourraient que se sentir gênés de posséder un de nos plus beaux bijoux de famille.

Le long métrage, une docu-fiction intitulée La Moselle celtique ou la rocambolesque histoire des Vases de Yutz, fut confiée au mosellan Patrick Basso tandis que Paul Couturiau en écrivait les dialogues. Leur beau travail fut projeté officiellement dans la région thionvilloise en novembre 2017, d’abord à l’Amphi de Yutz puis à Bouzonville, c’était normal. Tous les invités se dirent convaincus à la sortie de ces soirées. Le galbe altier des vases, leur relief mystérieux, patiné pendant 24 siècles par des générations de vers de terre bien de chez nous, semblaient soudain aussi incongrus à Londres que le Vase de Soissons au musée de Pékin…

Le Conseil départemental avait demandé à Mirabelle TV de prolonger sa communication durant cette fin d’année. J’allumai donc à l’heure dite… mais dès l’apparition de la souriante Annette Kichenbran, il y eût comme un sortilège. La dame qui, avec Paul Kiefer, avait en 1998 écrit un excellent livre sur les Vases, aurait été la première surprise si elle s’était revue parler avec la voix d’une autre.

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Comme tous les  invités , elle n’aurait pas aimé ce dédoublement, tout en gardant assez de tact pour en sourire. Dans cette brochette d’archéologues, chacun semblait parler à côté de ses lèvres, avec une bonne quinzaine de secondes de décalage… Quand Annette articulait, c'est Julia Farley qui causait. Quand Marc-Antoine Kaeser mangeait l’écran, Jean-Marie Blaising buvait le paysage... Laurent Olivier racontait l’âge de fer, mais je voyais bouger la barbe de John Howe et quand Jean-Paul-Petit commentait Bliesbruck, j'entendais Philippe Brunella dans la Cour d’or. Le téléspectateur était obligé de se bander les yeux pour filtrer le décibel  en ignorant la bobine. Comme si à l’entrée de cette crèche télévisuelle, les Rois mages avaient juré de repasser en boucle en se mordant les talons.

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