Et la Lorraine tomba de haut…

 

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Nous sommes le 2 avril 1641... A gauche, le portrait d'un roi de France et à droite, celui d'un duc de Lorraine. Ces deux Importants, qui ne s'aimaient guère, ne sont là que pour la photo. Leur rencontre  aurait même pu  prêter à sourire si  nous avions  pu parler à son propos de "Meurthe-et-Moselle humiliée"… L’ennui, c’est qu’on était sous Louis XIII et nos départements n’existaient pas encore…

Dans les pensées de la foule muette qui descend l’escalier du château de Saint-Germain-en-Laye, c'est un bouillonnement de vapeurs hostiles. Jamais, sous l’ondoiement de cette cascatelle de perruques, un témoin innocent ne pourrait deviner qu’un désaccord ébouriffe deux groupes dont les ego se frôlent en évitant le regard. En tête du premier, le roi est tout miel mais devant le second, Charles IV broie du noir.

D’ailleurs, il n’y a pas de témoin innocent puisque tout le monde est au courant. Dès le matin, derrière ses fourneaux, la valetaille s’amusait déjà du guet-apens. On a pris les paris dans les cuisines. Dans l’escalier, comme poussés dans le dos vers la descente, les Lorrains ont attaqué la première marche comme on trempe un orteil à la piscine. Sous la faible clarté d’une voûte de briques, la pâleur de leur masque les trahit et leur genou se fait de moins en moins souple.

Le roi a quarante ans, le duc de Lorraine trente-sept mais ils sont de vieilles connaissances. Leurs portraits se ressemblent au point que dans les musées, on peut encore aujourd’hui les confondre. Du front bouclé jusqu’à la barbe en pointe, c’est le même faciès étroit, celui qui, comme on dit chez les bergers, permet d’embrasser une chèvre entre les cornes. Par contre, côté mental, tout diffère: Louis est un introverti qui rumine longtemps ses coups, alors que Charles est un flambeur qui réfléchit plus tard...

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Dans l’escalier, le roi sourit. Sous la perruque, il repense en boucle. Le tour qu’ont pris les opérations ne peut que l’enchanter. Il revoit son invité rétif, debout et chapeau à la main, alors qu’il l’obligeait la veille à prendre connaissance des clauses du traité. Et il n’y avait pas à discuter.

L’affront avait cabré le duc de Lorraine. Feignant de défaillir, il s’était laissé tomber sur le sol comme un pantin tout mou décroché de son clou. Il s’était dit qu’en cette fin d’avril, il faisait bien trop froid dehors pour qu’on osât ouvrir les fenêtres afin de lui donner un peu d’air. Mieux vaudrait laisser l'enrhumé regagner sa chambre avec un verre de cognac et un sucre.

Nous ignorons si ce fut le cas mais nous savons qu’après l’avoir amusé, cette gaminerie ducale avait sérieusement agacé Louis XIII. En bon chasseur, il se méfiait toujours du sanglier blessé. Et celui-là, il avait de la défense. Le roi n’avait donc pas tort vu que Charles, sentant qu’on allait le ficeler, avait secrètement rédigé, deux jours plus tôt et devant notaire, une lettre dans laquelle il annulait d' avance tout ce que son tourmenteur lui ferait signer.

En somme, dans cet escalier sombre, deux esprits aussi vaniteux l’un que l’autre en étaient parvenus à un tel degré de cynisme qu’ils s’en mordaient des lèvres, pour ne pas rire.

Au bas des escaliers, nous voici maintenant à l'entrée du couloir. Par instinct, les deux groupes se sont dispersés pour gagner la grande salle où le banquet les attend. Drôle de réconciliation, selon des recettes du XVIIe siècle, où le moindre entremet a pu se mijoter en cuisine au bout de cueillers malveillantes.

A l’entrée de la salle à manger, on prie l’invité de patienter un peu, le temps de respecter le protocole. Connaissant le goût de Louis pour la musique, Charles se prend à espérer... Mais il sait aussi le roi ne craint pas d'enfumer sa proie, pour mieux la noyer dans une langueur un peu trouble, par l'effet conjugué de sa voix chaude et de sa flûte à bec

      Approche donc ma belle
      Approche-toi mon bien,
      Ne me sois plus rebelle
      Puisque mon cœur est tien

Dieu soit loué, pas de musique! Du fond de la salle, devenue silencieuse, un valet fait signe au duc de Lorraine. "Sa majesté vous attend".

Charles se dirige tout naturellement vers le monarque déjà installé. Il y a deux sièges vides à la droite de Louis mais la main d’un intendant s’interpose: "Non, non, Monsieur le duc, pas les fauteuils! Pour vous, c’est de l’autre côté, juste après…"

A quoi pense alors Charles IV, fils de François II de Lorraine, comte de Vaudémont et de Christine de Salm, tandis qu’il marche en caressant du dos de la main le dos de cuir des fauteuils repliés vers la table? Il ne pense à rien. Il cherche où s’asseoir…

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