Dans la maison du pendu

 

Dans la maison du pendu 12

On parlait récemment dans le journal du hangar d’Auschwitz où l’on recyclait le vêtement et les bagages des derniers arrivés, mais cette évocation épouvantable n'était pas énoncée dans la gravité qui s'impose, comme si nous étions dans un jeu de société. C'est en effet par une "devinette", comme pour passer le temps, en somme, que le lecteur finissait par l'apprendre: les anciens déportés chargés du ramassage se considéraient comme des veinards et se nommaient entre eux les "Canadiens".

Cet humour au dessous de zéro n'était pourtant qu'autodérision pathétique et leur jargon traduisait moins l'espoir de tomber sur un "trésor" que le moyen de refouler leur honte à devoir farfouiller dans la détresse des autres. Ils s'enfonçaient au crépuscule dans une montagne de guenilles encore fraîches qu'un troupeau hagard venait de quitter avant de s'ébranler, vers la chambre à gaz. Les "Canadiens" les avaient baptisés "Mexicains" par allusion au niveau de vie des deux pays.

On se doute que le rêve de trouver une montre en or dans cette montagne mortifère tenait plus de la fascination que du sacrilège. Tout "Canadien" tenaillé par le scrupule devait se consoler en pensant que son "Mexicain" n'aurait pas besoin d'heure au Paradis.

Et pourtant, le commentaire du journal m'avait glacé: "Les détenus convoitaient leur affectation dans le hangar, car ils espéraient y dérober des objets susceptibles d’améliorer leur triste quotidien."

Dérober? Vous avez bien lu. Ecrit comme ça, et dans la foulée, voilà nos "Canadiens" devenus voleurs en plus! Pas la moindre précaution de langage au risque de choquer un survivant. Pas même trois points de suspension pour expliquer au lecteur l'ironie décalée de cette histoire, à moins bien sûr de l'attribuer toute chaude au cerveau scabreux d'un négationniste.

On n’est certes pas des juges et tout journaliste peut blesser son lecteur sans le savoir. Surtout s'il n'a jamais su que le problème se posait. Pour aborder certains sujets, il faut impérativement trouver les vrais mots alors qu'il apparaît benoitement, dans cette histoire, un manque de compassion, une logique sans empathie, une ignorance qui se croit neutre...
Notre vieux savoir-vivre a du souci à se faire car c'est un monde glacé qui se mouline dorénavant dans les portables. Le moindre événement est décanté de toute sa vibration rationelle. Il devient lisse comme un vieil os. On pleurniche en meute pour la télé mais sans poser de questions.

Le recyclage de nos pudeurs est en route alors qu’il existait un code universel qui retenait de parler de corde dans la maison du pendu. Quand le journaliste était assez culotté pour le faire quand même, il devait y aller sur la pointe des pieds.

Les derniers survivants lorrains qui seront tombés sur la "devinette" auront essuyé une larme alors que, d’un doigt blasé, ils retrouvent depuis des années au fond de leur armoire le pli de leur vieux pyjama rayé.